Depuis 1985, la compagnie Chergui Théâtre créée de nombreux spectacles jeune public et tout public, de conte notamment (parmi eux L’amour des trois oranges). Souvent en tournée dans divers pays dont l’Espagne, le Portugal, le Venezuela ou encore la Colombie, leur recherche reste chevillée à l’interculturalité, toujours dans le but d’une réflexion sur notre monde en éternelle évolution. Avec Le romancero de l’air et de la terre présenté au Fil à Plomb, la compagnie retournait cette semaine en 1933, sur une place de Buenos Aires.
« Il vaut mieux rêver que vivre »
Un guitariste assis sur un tabouret molletonné, couvert d’un tissu rouge et noir, provoque par sa mélodie la montée de la lune. Derrière un castel aux mêmes teintes situé au centre de la scène, une poule stupide et un coq rusé observent ce gros œuf. Les artistes font passer le chapeau, la quête est bonne aujourd’hui, de plus en plus, chaque jour. Cela les étonne, étant donné qu’ils restent sur la même place et jouent à la même heure. Pérez, le marionnettiste français, est heureux puisqu’ils vont pouvoir manger à leur faim et peut-être, à la fin de la saison, acheter une machine à écrire. Son compagnon, le musicien argentin Hector, ne voit pas l’intérêt de cet instrument et propose plutôt d’acquérir un cheval afin de pouvoir se déplacer plus rapidement. Après le démontage, Pérez doit quitter son compagnon pour la soirée afin de remplacer un ami à la distribution du journal « La Razon ». De retour de sa tournée nocturne, le jeune marionnettiste informe de la venue d’un poète dont il aime les écrits. Ce personnage talentueux – Federico Garcia Lorca – est pour lui le symbole de la modernité et de la réussite. Il souhaiterait comme lui voyager, découvrir le monde entier et partager la poésie. A son contraire, Hector, beaucoup plus introverti, préfère rester près de ses racines et transmettre cette mémoire populaire par ses chants et sa musique. Deux amis aux envies et destinées différentes…
« Est-ce la même chose ? »
De belles énergies se mélangent ici, entre le dynamisme de Jean-Michel et la tranquillité de Jorge. L’un, par sa voix et son élocution, amène les mots avec volupté dans les oreilles – l’histoire, aussi simple soit-elle, coule avec douceur, tout en soulignant extrêmement bien les moments de vie où les décisions ne sont pas toujours faciles à prendre. L’autre, grâce à ses chants mâtinés d’un accent hispanique, plonge directement dans la culture espagnole, convoquant un imaginaire couleurs de Sud.
Une originalité dans la mise en scène servant très bien l’histoire : la répétition du spectacle de marionnettes. Parfaitement logique dans le récit, étant donné qu’ici c’est la vie des artistes et leur métier qui sont mis en avant. Le plus de cette idée est que les trois représentations sont toutes différentes les unes des autres et permettent de découvrir d’autres facettes de leur spectacle, dont ses secrets. On rentre dans l’intimité de l’artiste et de sa création.
Les seuls moments qui font malheureusement décrocher sont les chants et les poésies en espagnol. Ce n’est pas spécialement la barrière de la langue qui empêche de rester avec les comédiens, mais plutôt le fait qu’ils n’aient pas réussi à faire passer par le jeu les émotions qu’expriment ces mélodies. Du coup, un manque se crée dans le partage : on perçoit intellectuellement et non pas viscéralement que ce qui est dit dans ces textes relève de réalités poignantes… Un brin frustrant.
Le clou dans la planche – Delphine Le Calvez
Publié le 03/03/2013